PostHeaderIcon La rafle du 31 août 1944

Ce récit a été réalisé en 1985, sous l’impulsion du maire de l’époque, Jean-Claude GODFRIN, et du secrétaire de mairie, André MAIRE, ancien instituteur au village.

Il a pour simple ambition de témoigner du passé et de permettre à tous ceux que l’histoire de notre région intéresse, de garder en mémoire les événements qui se sont déroulés en août et septembre 1944 à Saulxures-les-Vannes.

L’essentiel en est constitué des témoignages contemporains de deux habitants de la localité, aujourd’hui disparus : Monsieur Louis CHAUDEY, instituteur et secrétaire de mairie, et Monsieur Gaston PAYEUR, qui était à l’époque professeur honoraire d’histoire et de géographie.

 

Préface de Jean LAURAIN, Ministre des Anciens Combattants et Prisonniers de Guerre de 1981 à 1986 :

Les habitants de Saulxures-les-Vannes n’ont pas oublié les événements d’août et septembre 1944.

La brochure que l’on m’a demandé de préfacer ne fera que témoigner par l’écrit de cette fidélité à leur passé des habitants de cette commune qui connut, pour reprendre le titre de l’un des chapitres « Un village à l’heure allemande ».

Il est remarquable qu’il se soit trouvé deux hommes pour consigner les événements et éviter ainsi que la mémoire collective les perde. Louis CHAUDET et Gaston PAYEUR qui, hélas ! sont aujourd’hui disparus, méritent notre reconnaissance à tous.

Je dis bien notre reconnaissance à tous, parce que notre histoire pendant ces années noires, si elle est d’abord celle du hameau, du village et de la ville, est en même temps l’histoire de la nation toute entière.

A travers le témoignage de Gaston Payeur, écrit comme un journal, l’on devine ce que furent les angoisses, les craintes des uns et des autres. L’on note aussi que le jour de la rafle, le 31 août, un homme fut tué à coups de mitraillette en cherchant à se sauver : René BOULANGER. Les familles portent toujours le deuil. L’on apprend aussi que Georges GARNIER, engagé dans les F.F.I. le 31 août, devait mourir au combat à Toul le 3 septembre. L’on y voit aussi, enfin, l’arrivée de ceux à qui beaucoup de lorrains doivent leur libération : les troupes de l’armée américaine.

Cette histoire écrite au quotidien vaut par les témoignages et les souvenirs de ceux qui, à Saulxures-lès-Vannes, connaissent le poids du passé.

Il faut savoir le peser et le conserver.

 

 

Un village à l’heure allemande, éditorial de Jean-Claude GODFRIN, maire de Saulxures-les-Vannes de 1983 à 1995 :

Pendant quatre ans, Saulxures-les-Vannes connaît, comme beaucoup d’autres, la vie des villages occupés : présence allemande, rationnement, séparation. Il faut que la vie continue malgré l’absence des hommes qui ont été faits prisonniers en 1940 ou réquisitionnés pour le S.T.O. Quelques personnes ont quitté la localité pour la zone libre, d’autres ont quitté la ville pour venir vivre provisoirement à la campagne. Instruite à la patience par sa condition paysanne et par l’histoire, la population attend des jours meilleurs.

Au cours de l’année 1943, la résistance s’organise et fait sentir sa présence sur le secteur. La configuration géographique des Côtes de Meuse, la présence de nombreuses forêts se prêtent aux activités de guérilla. Autour de l’adjudant LESPRIT se constitue un groupe de résistants français rattaché au secteur de Toul. Egalement présent, un groupe de maquisards étrangers (prisonniers russes évadés ?) qui est cantonné dans les forêts de Saulxures et Savigny. Ce groupe n’a pas de contact avec la résistance française et agit pour son propre compte.

La voie ferrée Toul-Neufchâteau-Dijon qui traverse le territoire de la commune est la cible privilégiée de la résistance. Plusieurs actions de sabotage ont lieu fin 1943 sur la longue courbe comprise entre la ferme de Comet et la commune de Punerot, mais à partir de juin 1944, les actes de sabotage s’intensifient de façon très nette : il s’agit de désorganiser les arrières des lignes ennemies en paralysant le plus possible les voies de communication. Cette activité de résistance a son revers et la population de Saulxures en subit à plusieurs reprises le contrecoup : les hommes sont tout d’abord requis à tour de rôle pour assurer la surveillance de la voie. Puis, comme les attentats continuent, on arrête et on menace les habitants qui travaillent à proximité de la voie. C’est ainsi que le 19 juillet 1944, Fernand CHARUEL, Aimé GODFRIN et Marcel HARMAND sont conduits à Nancy pour être interrogés. Fort heureusement, ils seront relâchés le soir même. D’après le Colonel P. de Préval, 47 sabotages seront perpétrés entre juin et septembre 1944 sur la ligne Toul-Neufchâteau.

L’activité de la résistance est devenue telle que les autorités d’occupation enquêtent sur le secteur « terroriste » de Colombey. Comme le dit Bernard PERRIN : « la région de Saulxures-les-Vanne est devenue la hantise des troupes d’occupation ». Partout ailleurs, dans un contexte de débâcle, la répression s’abat sur des populations suspectées d’aider le maquis. Les allemands n’ont plus à la bouche que le mot « terroriste ».

En cette fin d’août 1944 pour les habitants de Saulxures, la libération semble proche. La 3ème armée du Général PATTON parvient aux portes de la Lorraine. Le 30 août, Monsieur PAYEUR note qu’il entend distinctement le canon, sans pouvoir en préciser la localisation exacte. Mais de nouveaux attentats ont eu lieu sur la voie ferrée : des sentinelles ont été tuées et leurs corps, placés sur les rails, ont été déchiquetés par les trains. Sans qu’on puisse l’affirmer avec certitude, il s’agit vraisemblablement d’actions de ce maquis « russe » qui est cantonné dans les forêts de Saulxures et Sauvigny. C’était en tout cas une imprudence et un acte de cruauté gratuite. Le 30 août, plusieurs témoins s’en souviennent, sur la place du village, un soldat allemand, parlant un français correct, lance aux personnes présentes : «  vous, les gens de Saulxures, vous allez payer cela ! ».

Le lendemain, c’était la rafle des hommes de 16 à 55 ans.

Avec le recul du temps, on ne peut manquer d’être frappé, à la fois par la malchance d’une population victime d’une rafle à quelques heures de sa libération (Vaucouleurs est libérée le 31 août, les chars américains passent sur le CD4 au matin du 1er septembre) et la chance extraordinaire qui voulut que les otages puissent profiter de l’ouverture de la prison Charles III à Nancy le 31 août à 18 heures.

Tous rentreront sains et saufs à l’exception de René BOULANGER, abattu à quelques pas de sa maison, parce qu’étant prisonnier de guerre en culture, il croyait qu’on le recherchait personnellement.

Destinée…..

 

 

Témoignage de Monsieur Gaston PAYEUR, professeur honoraire d’histoire et de géographie, habitant Saulxures les Vannes :

Samedi 26 août

Depuis quelques jours, des maquisards circulent dans le pays. Ils sont armés de pistolets et quelques-uns ont des grenades. Ils viennent se promener dans le village par deux ou par quatre. Ils sont souvent aux alentours de l’église. Ils n’ont ni brassards ni signes distinctifs. Ils sont venus deux ou trois fois au magasin acheter du papier à cigarettes et des épingles de sûreté. Ils parlent une sorte de sabir dans lequel entrent très peu de mots français. Ils sont contents quand je leur dis quelques mots en allemand. Ils paient sans compter et laissent la monnaie divisionnaire comme font souvent les soldats de l’armée d’occupation.

Aux filles et aux femmes qui les interrogent, ils se donnent pour des prisonniers russes évadés, campés, au nombre d’une cinquantaine, dans la colline de prés qui sépare le bois de Saulxures de celui de Sauvigny. Cela est possible, car ceux que j’ai vus sont de type slave. Il paraît qu’ils attaquent de nuit les allemands chargés de garder la voie ferrée. On dit dans le village que ces jours derniers, un allemand a été tué, un autre blessé et qu’un troisième a disparu.

 

Lundi 28 août

Le père CHARUEL, du bas du village, est disparu depuis hier vers 21 heures. A cette heure, il achevait de couper des saules dans un pâtis près de la voie ferrée. On a retrouvé sa hache où il travaillait. Raymond COSSON a passé toute la matinée à le rechercher sans rien trouver d’autre.

Vers midi, on apprend qu’il est à Nancy. Les allemands l’ont arrêté à la tombée de la nuit, l’ont conduit à leur poste de la gare de Barisey et, de là, à la Feldkommandantur de Nancy, où on l’a, paraît-il, longuement interrogé. Il paraît qu’il va revenir.

 

Mardi 29 août

Les tickets d’alimentation pour le mois de septembre viennent d’être pris à Louis CHAUDEY par les maquisards ; ils sont venus deux fois. La première fois, au matin, pour avoir cent cartes de rationnement en pain, et la seconde à midi, pour avoir le reste des titres de rationnement y compris les cartes de lait. CHAUDEY n’a fait aucune difficulté pour remettre les cartes. Il s’est ensuite adressé à la gendarmerie de Colombey, puis à la Préfecture, pour en obtenir de nouvelles.

 

Mercredi 30 août

Marie-Louise et moi allons cueillir des haricots et arracher des pommes de terre au pâtis de la Queue de l’Etang. On entend très bien le canon. Je crois que c’est vers Saint-Dizier et Wassy. Marie-Louise pense que c’est beaucoup plus près que cela. La nuit venue, le ciel est éclairé de fusées et de projecteurs.

 

Jeudi 31 août

Vers 7 heures, deux camions chargés de soldats allemands armés et casqués passent à toute vitesse devant chez nous, allant vers la forêt. Quelques minutes après, des coups de fusil s’entendent de divers côtés. Ce n’est pas, comme nous l’avions cru, la lutte contre les maquisards ou la mise en défense de Saulxures qui commence, mais la rafle de tous les hommes valides de 16 à 55 ans. Ceux-ci, après visite des maisons, sont rassemblés dans le bas du village pendant que la fusillade continue. CHAUDEY et KIRCH  dressent à l’école la liste des hommes pris, après appel, 59 d’entre eux sont chargés sur deux camions et emmenés pour une destination inconnue.

Un bon nombre d’hommes y ont échappé : ouvriers de la verrerie, jeunes sur l’âge duquel on a réussi à tromper. Raymond BRACKE, CEREDA, OSSOLA, COLIN l’employé de chemin de fer et deux ou trois autres ont été renvoyés au dernier moment. KIRCH, JOCHIN et MARCELIN ont été emmenés quoiqu’ils aient plus de 55 ans, le premier parce qu’il est le maire ; le second parce qu’il a tenté de se sauver ; le troisième sans raison.

Par contre René BOULANGER a été tué à coups de mitraillette en cherchant à se sauver.

Marie-Louise, qu’on accusait sans doute de le cacher, a été menacée de son révolver par un allemand pendant qu’un second fouillait notre maison et qu’un troisième se tenait près de la fenêtre de la cuisine. La femme de Marcel FRIGANT et Lucie BOULANGER, ont été menacées par des soldats. Les allemands de la gare de Barisey venus avec les autres, repartent en emmenant toutes les bicyclettes qu’ils trouvent et en annonçant qu’ils vont revenir pour brûler le village.

A 10 heures, tout est terminé, mais c’est seulement vers 11 heures que le corps de René BOULANGER est ramené chez lui sur une brouette par son oncle et par Emile PERRIN.

Toute la journée, on entend le canon de plus en plus fort. Dans l’après-midi, un gendarme de Colombey passe dans les maisons pour connaître l’état-civil des hommes emmenés comme otages. Il dit que les six camions allemands sont partis en direction de Nancy. Le soir, beaucoup de femmes vont coucher à la cave.

 

Vendredi 1er septembre

Les trains ne circulent plus. Hier, vers 11 heures, les allemands ont dirigés sur Neufchâteau deux wagons chargés de farine et plusieurs autres contenant des munitions. Ensuite, les soldats chargés de surveiller la voie ont quitté la gare.

On entend le canon de plus en plus fort, toujours dans la direction de la Meuse.

A 15 heures, a lieu l’enterrement hâtif de René BOULANGER. Des chars allemands venant de la direction de Vaucouleurs passent rapidement sur la route, suivis de quelques pelotons cyclistes. L’un d’eux tire quelques coups de fusil sur l’atelier de taillerie de la verrerie. Puis, plus rien pendant quelques minutes. Alors des chars américains passent à toute vitesse.

Après 20 heures, trois otages reviennent : Jean BOULANGER, Abel FRIGAND, et PIERREL.

Le canon tonne toujours vers la Meuse et vers Toul. On entend également des mitrailleuses et des explosions. A la nuit, beaucoup de gens vont encore se coucher dans les caves.

 

Samedi 2 septembre

Dans la nuit, cinq otages sont encore revenus, parmi lesquels CAYE, QUENETTE, et Jean DIÉ. A 10 heures, des automitrailleuses américaines passent dans le bas du village. Les américains tirent quelques coups de canon puis s’en vont. Saulxures es libérée ; mais le bruit court que de nombreux allemands se cachent dans la forêt.

A 13 heures, les enfants crient dans les rues : « Voilà des hommes qui reviennent sur la route de Colombey ! ». A l’idée que les allemands pourraient revenir, c’est une fuite générale et bien des gens courent vers les caves.

Mais ce ne sont pas les allemands ; ce sont seulement 28 otages de Saulxures qui reviennent par une pluie battante, trempés jusqu’aux os. Un grand nombre d’habitants courent à leur rencontre. Je me hâte de rentrer et je peux raconter de qui nous est arrivé :

 

« Le jeudi 31, après avoir été alignés sur deux rangs dans la rue du Sauveuil, nous avons été fouillés puis chargés dans deux camions. J’étais dans les premiers avec CHAUDEY et KIRCH.

Après avoir traversé Colombey, Allain et Thuilley, les camions s’arrêtent près d’un petit bois. CHAUDEY me dit : « c’est fini. Voilà un bel endroit pour nous fusiller ». Je ne réponds pas cer je crois que notre arrêt a simplement pour but de laisser refroidir les moteurs. On ne nous fait pas descendre et les camions se remettent en route.

A Pont-Saint-Vincent, je remarque que trois fourneaux sont prêts pour faire sauter le pont.

Nous montons à Brabois, mais au lieu de descendre sur Nancy, nous tournons vers Vandoeuvre. Près d’un bois, arrêt. Je remarque qu’il n’y a plus que deux camions et que deux sections d’allemands sont au bord de la route. L’une monte vers le bois et notre camion la suit. Cette fois, j’ai peur quelques secondes. Mais le camion s’arrête et retourne vers Nancy, l’autre le suit.

Nous traversons la ville jusqu’à la Platzkommandantur près de la cathédrale. Nous attendons près d’une demi-heure. Il est plus de midi. Les camions se remettent en marche vers la gare qu’ils dépassent. Je dis à CHAUDEY : « Vont-ils nous mener à Toul ? – Non, mais aux Fonds de Toul ! «  (c’est là qu’ils fusillent les condamnés à mort). Mais nous tournons vers les Trois-Maisons, et on nous arrête devant un immeuble occupé par des bureaux militaires (Feldkommandantur – Gestapo, boulevard Albert 1er). J’ai faim, n’ayant rien mangé depuis la veille au soir. Janot me donne du pain et KIRCH un peu de jambon. De là, on nous conduit à la prison de la rue Charles III. J’entre le dernier avec KIRCH à qui un officier dit en allemand : « Vous serez fusillé le premier demain matin ». On nous enferme dans une salle du second étage. D’autres sont au premier. Le temps nous paraît long.

Je suis assis sur un lit à côté de CHAUDEY. Roland CHARUEL me montre des punaises qui courent sur le plancher, mais ce qui m’intéresse, ce sont les bruits sourds qui se produisent de temps en temps. A 16 heures, on nous apporte un broc d’eau et un quart. A 17 heures, un gardien distribue des assiettes de fer et on nous apporte de la soupe aux choux que je mange avec plaisir car j’ai faim.

Un quart d’heure après, la porte s’ouvre à nouveau : « Sortez… avec bagages ! » Je sors un des premiers. Je descends l’escalier. Arrivé au bas, un soldat allemand me fait signe d’aller devant moi. Je traverse avec les camarades une cour déserte mais encombrée de malles. Une porte est ouverte.

Les gens crient dans la rue : « Libres ! Vous êtes libres ! ».

Je suis dans la rue. La tête me tourne un peu. Je tire CHAUDEY par le bras : « Vite, à la poste ! Il faut téléphoner ! ». Mais il est plus de 18 heures. Nous allons à la gare. Il n’y a plus de trains. Il n’y a même plus de locomotives !

Nous allons quelques-uns au Centre d’accueil de Pétain. J’essaie de faire téléphoner. Impossible ! Les lignes sont coupées.

« Où sont les américains ? – Officiellement à Foug, me répond une dame du Centre. Les ponts de Pont-à-Mousson sont coupés (c’est d’ailleurs faux) et l’on se bat dans Toul ».

Nous mangeons au Centre : soupe et petits pois, puis on nous conduit à un dortoir aménagé dans un petit théâtre non loin de la cathédrale. Il y a deux étages de couchettes de bois, garnies d’un peu de paille et d’un sac de couchage. D’après le genre de coucheurs que nous y rencontrons, il me semble que c’est une sorte d’asile de nuit. La couchette est très dure et je dors peu, mais c’est une de mes nuits les plus agréables, car j’entends, à intervalles assez réguliers, des explosions provenant des dépôts de munitions que les allemands détruisent.

Au matin (le vendredi 1er septembre) il fait beau. Nous sommes une trentaine qui, à 8 heures, quittons Nancy pour gagner au plus vite Pont-Saint-Vincent. Rue du Montet, nous assistons au pillage par les Nancéiens de la manutention militaire allemande.

J’ai beaucoup de mal à faire la route, car je n’ai comme chaussures que des sabots et de vieux chaussons. A Pont-Saint-Vincent, nous traversons la Moselle sur le pont gardé mais toujours intact. Pour cela, nous nous dispersons pour ne pas attirer l’attention des soldats.

Un ami d’Adrien MORLON nous fait entrer chez lui, nous donne du vin et de raisin. KIRCH me donne du pain et CHAUDEY du jambon. Nous nous remettons en route. Je ne peux plus marcher. Je dis à CHAUDEY que je vais m’arrêter au prochain village. A Maizières-les-Toul, je cherche à téléphoner. On me répond que les fils sont coupés. A la sortie du village, un peloton de cyclistes allemands nous arrête et nous aligne contre un mur. Nous ne sommes guères rassurés. Un peu plus tard, on nous fait passer de l’autre côté de la route.

Des chars allemands passent. Dans le second, un SS prend une grenade pour nous la jeter, mais heureusement pour nous, il ne le fait pas, car quelques soldats sont au milieu de nous. Après le passage des chars, nous sommes libres. Nous entrons dans une grange pour nous reposer et aussi nous cacher. Des chars continuent à passer.

Un homme du village vient nous chercher, nous fait entrer dans sa grange et nous distribue du pain, de veau froid, des pommes et du vin. Quand nous avons mangé, il nous conseille de nous disperser. KIRCH est d’avis de continuer notre route vers Colombey. Arrivés à la route de Viterne, nous sommes arrêtés par un char dont les occupants nous fouillent. Le sous-officier nous fait retourner à Maizières où nous nous dispersons. Je vais avec CHAUDEY et KIRCH à l’école où l’instituteur (Monsieur CORDIER) nous fait entrer. Le Maire ne tarde pas à venir.

Des chars passent et s’arrêtent. Un maquisard vient de tirer sur eux, ce qui est exact. Le Maire de Maizières parlemente avec un officier allemand qui veut brûler le village, KIRCH sert d’interprète. L’officier veut connaître la maison où habite le coupable pour la détruire. Les soldats cernent le village et tirent sur tous les habitants qui veulent sortir. Un homme est blessé à la jambe ; on le rapporte sur une civière. L’officier le fait déposer dans la rue. Enfin, après une longue discussion, il remonte dans sa voiture et les chars s’en vont.

D’autres passent ensuite. Les derniers ont des drapeaux blancs ou des insignes de la Croix-Rouge. Un allemand crie en passant, que dans une demi-heure les américains seront là. Je soupe avec Monsieur CORDIER et je vais coucher dans une ferme en face de l’école.

Le Facteur de Pont-Saint-Vincent que j’ai vu au début d’après-midi m’a promis de téléphoner au 2 à Saulxures-les-Vannes pour avertir que je suis libre. La chose est paraît-il possible en passant par Vézelise où les lignes sont intactes. Toute la soirée, on entend le canon vers Toul.

Au matin (le samedi 2 septembre) il pleut. Alphonse BRACKE me donne ses chaussons pour que je puisse marcher. Nous passons par Viterne. Près du four à chaux, on hésite à passer car il doit y avoir un poste allemand. Je suis en tête. Je marche. Je ne vois rien. Il n’y a plus personne. La route est libre.

A Thuilley, on nous dit que les derniers allemands sont partis la veille au soir. Une partie de Blénod brûle encore. A Allain, toutes les maisons sont fermées. Enfin, KIRCH rencontre le maire. Tout s’explique. Les habitants attendaient les américains. En nous voyant arriver, les enfants ont crié : « les maquisards ». Les gens ont pris peur. On nous ouvre un café, il y a du pain, du vin, des gâteaux, du saucisson. Nous mangeons.

MARCELIN me donne un sac pour me protéger de la pluie. A Colombey les américains sont partis pour Crépey. Monsieur BERNARD, le receveur des contributions indirectes veut me faire dîner avec lui. POIRSON veut me faire entrer pour boire un verre de champagne. Le docteur HIPPERT m’embrasse et me dit : « Et vous aussi, mon pauvre vieux, ils vont ont emmenés ! ». Il veut me ramener en auto à Saulxures. Je refuse.

Enfin nous arrivons à Saulxures vers 13 heures. Je ne sous tranquille que quand Madame MAZELIN me dit : « Votre femme est chez vous. Elle vous attend ! ».

L’après-midi, on sonne les cloches et on met les drapeaux à la Mairie, ce qui met certains dans une colère folle, craignant que le retour des allemands ».

 

Dimanche 3 septembre

René BONIN et quelques hommes sont rentrés après 20 heures. Il resterait donc 13 hommes à Nancy en en chemin. KIRCH, le Maire, invite les otages échappés aux allemands et tous les habitants à assister à la messe. Quelques-uns refusent, entre autres DIÉ, CAYE et COSSON.

Toute la journée, on entend le bruit du canon, mais à intervalles assez variables et dans diverses directions. Dans l’après-midi, une automobile ramène le corps de Georges GARNIER, tué à Chaudeney près de Toul. Il était parti jeudi soir 31 août, en rentrant de son travail à la verrerie, pour s’engager dans les FFI. Comme on se battait à Toul, il a demandé à y aller et, n’étant pas exercé, il n’a sans doute pas pu se cacher lors d’un passage dangereux.

Les américains sont arrivés à Foug le jeudi 31 août dans l’après-midi. Les FFI ont alors attaqué les forts de Toul, mais, faiblement soutenus, ils perdirent beaucoup d’hommes et furent repoussés. C’est seulement le samedi 2 septembre qu’eut lieu l’attaque générale de la ville de Toul.

 

Lundi 4 septembre

Ce matin à 11 heures, a eu l’ieu l’enterrement de Georges GARNIER. L’église n’était pas assez grande pour contenir tous les assistants dont beaucoup étaient venus des villages voisins. Pendant la cérémonie, les premiers américains passaient devant chez nous dans une chenillette. Comme nous les regardions, ils nous firent des signes de la main après avoir, au préalable, tourné leur mitraillette vers nous. Cet après-midi, on entend le canon dans diverses directions, en particulier vers Toul.

 

Vendredi 8 septembre

Des convois américains continuent à passer sans arrêt toute la journée sur la route venant de Vaucouleurs vers Colombey-les-Belles. Ce sont des chars lourds, des camions chargés de soldats, des canons tractés. Tout cela roule à toute vitesse, avec un bruit terrible.

On annonce, à son de caisse, que, par ordre des autorités américaines, les lumières doivent être strictement camouflées, sous peine d’une amende de 100 francs à la première infraction, de 200 francs à la seconde et de l’internement au camp d’Ecrouves à la troisième, et que toutes les armes à feu, même les fusils de chasse, doivent être déposés à la mairie dans les 24 heures.

Comme les allemands ont vidé les 2 000 litres d’huile du transformateur de Choloy, nous sommes sans électricité depuis le 31 août, et par suite, sans nouvelles diffusées par la T.S.F. D’autre part, la poste et le téléphone ne fonctionnent plus. Il en résulte que les nouvelles les plus contradictoires et les plus invraisemblables circulent et trouvent créance.

On dit, par exemple, que Pétain a été fusillé par les allemands, que la Suisse vient d’entrer en guerre contre l’Allemagne, que des troupes anglaises ont débarqué à Hambourg, qu’une colonne de chars allemands occupe Autreville, etc…

 

Dimanche 10 septembre

Quelques voitures américaines, dont une blindée munie d’une mitrailleuse lourde, parcourent les rues du village et les chemins des environs. Dans le courant de l’après-midi, quelques américains creusent de minuscules tranchées et installent une pièce de D.C.A. dans les vergers, au-dessus du Sauveuil.

 

Lundi 11 septembre

Le soir l’électricité rétablie nous permet d’entendre un communiqué : Neufchâteau est libérée, on se bat le long de la Moselle, Luxembourg vient d’être occupée par les américains et les premiers obus tirés par les canons alliés sont tombés en territoire allemand.

 

Vendredi 15 septembre

Dans le courant de l’après-midi, une bonne nouvelle se répand : Nancy est libérée. Les américains y sont entrés ce matin à 11 heures.

 

Dimanche 17 septembre

Les treize derniers hommes de Saulxures-les-Vannes emmenés comme otages le 31 août et restés à Nancy viennent tous de rentrer.

 

Gaston PAYEUR.

 

 

 

 

Témoignage de Monsieur Louis CHAUDEY

Au matin du 31 août, vers 7 heures, nous sommes réveillés par un bruit de camions qui montent le pays. Mon fils se met à la fenêtre et dit : « Ce sont les allemands ! ». Au même instant, un jeune homme s’écrie : « Ils viennent de défoncer la porte du Maire ! ». Apeurés, nous doutant de la gravité de la situation, nous nous habillons lestement. Nous sommes à peine vêtus. Une automobile sans portières stoppe devant l’école. Des voix autoritaires clament : « Aufmachen, schnell, schnell ! » et, en même temps, le Maire, Monsieur KIRCH, qui accompagne le Chef, appelle : « Monsieur CHAUDEY, ouvrez-vite ! ».

Ma femme descend précipitamment, mais pas encore assez vite au gré de ces messieurs, pour ouvrir la porte. Je la suis et l’officier, une grenade à la main, pénètre dans ma classe. Il me demande que je lui établisse la liste des hommes de moins de 60 ans et m’interdit de sortir. Une sentinelle, un révolver au poing, est chargée de me surveiller.

D’un peu partout, la fusillade crépite, les soldats, au nombre de 150, tous armés jusqu’aux dents, farouches, fouillent le pays. Les portes sont forcées, les maisons visitées de fond en comble, les autos montent, descendent, le village est cerné de toutes parts. Deux de mes voisins, à peine vêtus, sont appelés devant l’école, puis conduits au Sauveuil où le rassemblement commence sous la menace des mitrailleuses.

Ma liste établie, l’officier vient la chercher et s’assure que mon nom y est bien inscrit. Il me somme de le montrer et cherche confirmation auprès du Maire présent. Il est accompagné d’un autre militaire qui paraît être le chef du détachement. Celui-ci, dans un même état d’esprit d’animosité et de violence, sifflote, grignote une pomme verte, examine avec persistance les dessins affichés aux murs, trouve une carte routière sur mon bureau, la regarde, la froisse et la donne à un soldat présent. Une carte de France, bien en vue, est arrachée et disparaît dans une de ses poches.

Rentré de vacances du dimanche soir, j’essaie de faire comprendre à ces chefs que je suis étranger aux actes commis contre eux, car, en effet, le pays est accusé de complicité dans les incidents qui se sont produits sur le territoire de la commune : soldats tués sur la voie ferrée, sabotages, ravitaillement du maquis.

L’un d’eux me répond : « Vous êtes bien le maître de ce village ; vous savez ce que vous avez fait dans votre mairie ! ». L’autre ajoute : « Ce sont vos imbéciles de compatriotes qui sont la cause de tout cela ! ». Ma femme me présente, insiste, mais on lui répond : « C’est la guerre, Madame ! ». On m’emmène.

En descendant la rue, j’apprends qu’un des nôtres qui, paraît-il, essayait de s’enfuir, est tombé sous une rafale de mitrailleuse. Effectivement, il y a une victime : un de mes voisins.

Dans la rue du Sauveuil, on me mène au groupe d’hommes déjà formé. Aussitôt, un soldat me fouille en me faisant lever les bras brutalement. Avec violence, il écarte ma veste et ma chemise. Deux boutons sautent.

L’appel commence. 59 hommes sur 97 sont présents. Certains travaillent déjà à la verrerie de Vannes-le-Châtel et d’autres se cachaient.

Les allemands menacent de mettre le feu et de revenir dans l’après-midi à la recherche des absents. Les soldats commettent de nombreux vols : une automobile, 15 bicyclettes, du lard, du jambon, des œufs. Des montres et des bijoux disparaissent. Une vache est abattue dans un clos et emmenée.

Nous sommes groupés. Des femmes nous apportent quelques provisions. Certaines sont admises et les musettes sont vérifiées.

On nous charge sur deux camions où nous sommes encadrés d’une douzaine de soldats armés et vers neuf heures et demie, nous quittons le pays pour une destination inconnue.

Après Thuilley-aux-Groseilles, le convoi s’arrête en bord d’un bois à proximité d’une clairière. Les officiers descendent de leur voiture, se groupent et discutent. Que va-t-on faire de nous dans ce lieu désert ?

Un quart d’heure à vingt minutes après, les camions repartent en direction de Nancy. A Brabois, ils quittent la grande route et, par un petit chemin creux, nous conduisent sur un terrain militaire isolé et sinistre. Au fond, un bois, un cimetière : de tous côtés, des écriteaux surmontés d’une tête de mort et sur lesquels on lit l’inscription : « Terrain miné ».

Là, les camions stoppent, une partie des soldats descend et se met sur deux rangs, les armes et cartouches à portée. Frayeur générale se peint sur les visages. La pluie s’en mêle et nous refroidit davantage encore. L’heure paraît grave pour nous.

On fait descendre une quinzaine d’hommes. Je suis du nombre. Nous croyons à notre dernière heure. Ce n’est qu’une fausse manœuvre. Une perche miraculeuse nous est encore tendue, car on nous fait remonter en camion. Un signal, le convoi rebrousse chemin et gagne Nancy, place de la Cathédrale, où il s’arrête devant la Platzkommandantur. Une demi-heure s’écoule et sans explications nous remontons la rue Saint-Jean et gagnons le boulevard Albert 1er. La Feldkommandantur. Là encore, nouvel arrêt et pose d’une demi-heure. Chaque fois, les officiers ont un entretien avec les services.

Vers 11 heures et demie, nouveau départ. Devant la gare, le camion ralentit. Beaucoup envisagent une expédition pour l’Allemagne. Il n’en est rien. Les camions continuent leur route sur la prison Charles III.

Cette fois, on nous fait descendre. Un officier s’adressant au Maire luit dit : « Vous serez fusillé le premier ! ». Nous comprenons mieux ce que l’on pense faire de nous.

Répartis dans deux pièces où quelques paillassent s’alignent, nous nous étendons un peu en attendant la décision sur notre sort. Les couteaux sont ramassés, un broc d’eau est mis à notre disposition et vers 5 heures et demie une soupe aux choux nous est distribuée. Nous la mangeons de bon appétit, car beaucoup sont partis du matin à jeun et sans avoir eu le temps d’emporter des provisions. Les heures nous paraissent longues ; les puces et punaises nous dévorent.

Vers 6 heures, un coup à la porte nous met debout. Un soldat nous ordonne de descendre, nous étions au troisième étage. Qu’allait-on faire de nous cette fois ? Descendions-nous vers quelque oubliette ou salle de torture ? La descente continue. Une porte s’ouvre. Nous sommes dans la rue. La foule nous acclame et crie : « Vous êtes libres, les Américains approchent de Nancy ! ».

Nous apprenions que dans cette soirée du 31 août, les portes des prisons se sont ouvertes sur tous les détenus.

Américains ! C’est à vous que nous devons notre salut !

Louis CHAUDEY.

 

 

Liste des otages du 31 août 1944

  1. AUBERTIN Gaston
  2. BAILLY Marcel
  3. BARY Gérard
  4. BERTIN Maurice
  5. BERTIN Georges
  6. BONIN Pierre
  7. BONIN René
  8. BONIN Maurice
  9. BONIN Jean
  10. BOULANGER Jean
  11. BOULANGER Lucien
  12. BRACKE Alphonse
  13. CAYE Raymond
  14. CHARUEL René
  15. CHARUEL Roland
  16. CHARTREUX Jean (de Nancy)
  17. CHAUDEY Louis
  18. COSSON Raymond
  19. DIE Jean
  20. FRINGANT Maurice
  21. FRINGANT Robert
  22. FRIGAND Abel
  23. FRIGANT Marcel
  24. GALLIEN Lucien
  25. GEIREGAT André
  26. GODFRIN Aimé
  27. JANOT Prosper
  28. JOCHIN Martin
  29. KIRCH Pierre
  30. LABBE Albert
  31. DABONVILLE Jean
  32. DABONVILLE Robert
  33. LAURENT Claude
  34. LAURENT Léon
  35. LIND Hippolyte
  36. MARCELIN Marcel
  37. MARCHAL Charles
  38. MASSON Jean
  39. MONTIGNON Germain
  40. MORLON Abel
  41. MORLON Adrien
  42. MORLON Henri
  43. MORLON Léon
  44. MORLON Pierre
  45. NOEL Paul
  46. NOEL Ernest
  47. PAYEUR Gaston
  48. PIERREL Pierre
  49. QUENETTE René
  50. RENAULT André
  51. RENAULT Georges
  52. RICHARD Jean
  53. RICHARD Marcel
  54. ROYER Charles
  55. SCHOLLER ??
  56. TABURY Léopold (de Paris)
  57. THOMAS Raymond
  58. THOUVENIN Maurice

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